Tout a commencé sur un quai de gare. Un livre à choisir sur un tourniquet pour faire passer agréablement le temps d'un voyage à présent oublié.
Dans ma mémoire, le polar de poche édition Carré Noir me saute littéralement dans la main, me choisissant autant que je le choisis et, si ça ne s'est évidemment pas passé réellement comme ça, c'est l'image qui reste ancrée en moi, plus sûre que celle d'un film que l'on connaît par coeur.
Je ne savais pas, à l'époque, l'importance que ce petit geste anodin allait avoir sur ma vie.
Le titre du bouquin était "Effraction", l'auteur Francis Ryck.
Je ne suis pas un lecteur glouton, comme certains qui peuvent dévorer un livre en deux ou trois heures maximum, ne le lâchant plus du début à la fin. Non, je lis lentement car je joue toutes les phrases et tous les dialogues comme dans un film, passant du off au in. Et, lorsque j'aime un livre, je suis tellement heureux de le lire que j'aimerais que ce bonheur ne s'arrête jamais et je fais tout pour faire durer le plaisir. Dans le cas d'un excellent polar, cela relève parfois de l'héroïsme.
Ce dont je suis sûr, c'est que je n'ai pas fini "Effraction" dans le train mais dans mon lit, dans ces moments calmes qui précèdent le sommeil.
Je me souviens de ce léger frisson qui m'a parcouru et de cette vague envie de pleurer, juste avant de refermer le livre, deux symptômes indiquant chez moi une rencontre inoubliable avec un roman.
J'avais 19 ans et n'étais pas très avancé sur les choses de la vie. Sorti d'un collège catho (je ne renie et ne regrette rien d'ailleurs), éducation bourgeoise et aisée avec parents aimants, je n'étais pas vraiment préparé à me prendre d'affection pour Val, braqueur de banque assassin, personnage lourdaud semant la mort autour de lui. Le personnage principal d' "Effraction" qui prend un couple en otage. Je n'ai jamais réussi à voir le film de Duval tiré du livre mais je suis sûr que c'est une catastrophe. Ce que je sais, c'est que l'auteur le haïssait.
Comme souvent lorsque je tombe amoureux, que ce soit d'un livre, d'un album musical ou d'un film, il me faut découvrir au plus vite les autres oeuvres de l'auteur.
C'est ainsi que je lus tous les romans de Ryck qui me tombaient sous la main, et Dieu que c'était facile à l'époque. On pouvait trouver pratiquement toute son oeuvre à la série noire dans toute librairie digne de ce nom. C'était avant... bien avant. Epoque bénie que l'on n'a peut-être pas su apprécier suffisamment.
"Prière de se pencher au dehors", "Nos intentions sont pacifiques", "Paris va mourir", "Voulez-vous mourir avec moi?","Le testament d'Amérique", "Les chasseurs de sable","Les fils des alligator","L'incroyant", "La peau de Torpedo", "Le compagnon indésirable" etc... Je ne peux pas tous les citer. Ryck avait déjà écrit 18 romans à la Noire à cette époque. Je les ai tous lus, méthodiquement. Aucun ne m'a vraiment déçu. Même ses oeuvres des débuts à la série noire, considérées comme mineures, telles que "Opération Millibar" ou "Incognito pour ailleurs" trouvaient grâce à mes yeux. Bon, il faudrait sûrement que je les relise maintenant pour m'en faire une idée plus objective.
Très vite, je connaissais donc toute l'oeuvre de Ryck à la Série Noire.
C'est là que je pris la décision de lui écrire. J'aimais cet auteur par dessus tout, j'étais épris de ses personnages que j'avais l'impression de connaître, qui me parlaient. J'aimais son discours sur la vie, son ouverture au mystère. Je désirais rencontrer l'homme. Tout en étant conscient du risque important d'être déçu.
Je pris mon stylo Bic d'étudiant à la Fac et m'attelai à la tâche, un peu inconscient.
Je ne sais plus exactement la teneur de cette lettre. Ce dont je me souviens, c'est que c'était une vraie déclaration d'amour, sans ambiguïté, à un auteur et à son oeuvre. Avec un petit ultimatum gonflé du style, "si vous êtes la personne que je crois que vous êtes, vous ne pouvez pas ne pas me répondre...", et un autre passage poétique citant une scène de "Prière..." qui m'avait marqué, la mettant en perspective avec la situation.
Je l'ai donc écrite et envoyée aux éditions Gallimard cette lettre, n'en attendant rien de spécial pour être franc.
Puis, un jour, il y eut un coup de fil. Et ce coup de fil était pour moi. C'était lui, c'était Francis Ryck.
J'étais étonné, heureux et un peu intimidé.
La voix était chaude et douce, un peu traînante, étrangement masculine et féminine en même temps, assez fascinante en fait.
Car, au tout début, pour moi, Francis Ryck ne fut qu'une voix. Une voix que je ressentis instantanément comme une voix amie, une voix importante... sans réellement pouvoir me l'expliquer.
Le premier échange fut rapide et évident. "C'est trop bête, j'étais à Paris très récemment, on aurait pu se voir. Là, je suis redescendu... j'habite dans le sud...".
J'avais l'impression de marcher sur un nuage. Ma lettre ne devait pas être si mal que ça finalement.
(A suivre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire